lundi 10 février 2014

Tatkal, nous t'aurons !

Nous voilà repartis vers le Nord, direction Ernakulam, plus connue sous le nom de « Kochi ». Ancien comptoir irlandais, « Fort Kochi », est la partie ancienne de la ville qui forme une presque île, célèbre pour ses ruelles bordées de jolies maisons et pour son activité de pêche aux carrelets chinois.



A peu près remise sur pied mais le ventre bien vide, je me sens d’attaque pour deux nouvelles heures de bus. Nous arrivons à Ernakulmam, nous apprêtant à être comme toujours harcelés par une dizaine de chauffeurs de rickshaw qui nous sautent dessus à peine descendus du bus. Mais cette fois, pas de rickshaw. C’est bien dommage car aujourd’hui nous en avons vraiment besoin ! Le port depuis lequel nous devons prendre un bateau pour Fort-Kochi se trouve à 3km, hors je me sens encore toute affaiblie et je ne me sens pas du tout de marcher avec 20kg sur les épaules sous la chaleur du plein après-midi. Après 30 longues minutes de recherche d’un tuk-tuk, nous apercevons une « gare » de rickshaws : ils sont plusieurs dizaines garés dans un parc, sans personne à l’intérieur. Cela nous paraît bien louche car les rickshaw en Inde circulent toujours sans-cesse à la recherche de passagers. Avec humour, nous imaginons une « grève des rickshaw » : eh bien ce n’était pas si drôle. Des passants nous confirment : il y a effectivement… une grève des rickshaw ! Pas d’autre choix possible, nous devrons marcher.

Une heure plus tard, nous atteignons enfin l’embarcadère. Il nous faudra encore autant de temps avant d’arriver sur la presqu’île de Fort-Kochi. Mais le voyage en valait la peine : cette petite ville ancienne est particulièrement jolie. On y retrouve une atmosphère occidentale similaire à celle de Pondichéry, où il est agréable de flâner dans les ruelles bordées de jolies maisons et de boutiques d’artisanat. Il nous reste encore à trouver un hébergement. Les premiers que nous visitons sont tous complets ou bien trop chers pour nous. Epuisés, nous nous arrêtons quelques instants sur un banc. C’est alors qu’une moto s’arrête devant nous. Un indien au look afro nous aborde : il tient une Guest House et a une chambre libre. Il nous propose de nous emmener en moto jusque là-bas. Je prends ça comme un signe providentiel et laisse R. partir avec l’afro-indien tandis que je reste sur le banc pour garder les sacs. Chambre approuvée par R., nous allons nous installer là-bas, partant chacun notre tour en moto avec notre hôte.



Kochi étant une ville très touristique, nous pouvons de nouveau louer un scooter. Nous profitons donc du véhicule pour découvrir les alentours et sortir des sentiers battus. En descendant au hasard vers le sud, nous prenons vite goût à rouler en scooter : tous les indiens nous font des coucous sur la route, souvent même accompagnés de francs « Hellos !! » et de sourires colgate. Nous nous arrêtons dans un petit village de bord de mer, bien à l’écart des flux habituels de touristes. Nous sortons nos appareils photos et nous retrouvons vite au cœur de la vie de ces petites rues résidentielles. Les gens passent, nous interpellent, demandent une photo, sourient,… Les enfants, heureux, se font vite nos guides et nous amènent sur une magnifique plage. Quelques rencontres éphémères, mais chaleureuses, teinteront notre petit séjour ici de beaux souvenirs.






Mais en fait, ces quelques jours à Kochi ne seront pas tant marquants par les sourires échangés que par l’évènement tout à fait déterminant pour la suite du voyage. En effet, R. m’avait depuis bien longtemps demandé à aller visiter les états du Nord-Est, l’espèce d’ex-croissance indienne de l’autre côté du Bengladesh. Je n’avais pas dit non, mais nous sommes finalement partis dans la direction opposée et nous nous trouvons maintenant au Sud-Ouest du pays. Lorsque nous étions coincés à Varkala, R. m’avait proposé de reprendre un vol intérieur, mais je n’avais pas très envie de traverser le pays d’une traite. Or il avait justement vu qu’une ligne de train reliait Kochi à Guwahati, la capitale de ces états du Nord-Est. L’idée d’un périple en train me plaisait bien : une belle façon de mélanger authenticité, découverte et réalisation du symbole même du voyage, la traversée en train.

Le problème, c’est qu’en Inde tous les trains sont complets bien longtemps à l’avance. Heureusement, il existe une solution de dernier recours, à l’étrange nom de « tatkal ». Tatkal, ce sont ces billets « d’urgence » que l’on ne peut obtenir que le matin de la veille du départ, à 10 heures. Mais ces billets sont évidemment limités en nombre et sont donc réservés aux plus chanceux, ou plutôt aux plus lèves-tôt, ou en fait même aux plus malins. Quoi qu’il en soit, « tatkal » reste encore une notion floue pour nous, mais représente notre grand espoir de pouvoir partir à l’autre bout du pays et fuir cette région très touristique pour un coin tout à fait mystérieux.

Le « Guwahati Express » passe le mardi soir par Kochi. Lundi matin, nous devons donc être aux aguets pour obtenir ce fameux Tatkal. Après nous être renseignés auprès de différentes personnes sur la démarche, le lieu et l’heure, nous prévoyons d’arriver à 8h en gare d’Ernakulam. Ce lundi matin, R. prend donc les commandes de notre scooter et nous emmène pour 1h de traversée à la fraîche, au cœur du pôle urbain. Devant de grands panneaux « No Parking », nous garons notre scooter, parmi la centaine d’autres deux-roues déjà stationnés, concluant que ces panneaux doivent être à l’image des règles en Inde : un pur élément décoratif, mais pas du tout usuel.



Après 30 minutes de queue, nous accédons à un guichet. Première désillusion : le vendeur nous informe que nous arrivons bien trop tard pour espérer avoir un billet pour le Guwahati express, puisque nous sommes les 15èmes sur la liste et qu’il ne reste que 3 places dans le train. Il nous délivre quand-même un numéro de passage, que nous devons conserver jusqu’à l’appel de 10h. L’obtention des billets semble perdue d’avance : devons-nous repartir au lieu de perdre 2 heures supplémentaires à attendre ou devrions-nous attendre dans l’espoir d’un éventuel miracle (que je nommerai le miracle indien ou l’art de rendre l’impossible tout à fait possible) ? Désemparés, nous nous asseyons un moment pour réfléchir à une solution de remplacement, à un itinéraire bis. Nous nous rendons donc à un guichet pour nous renseigner sur les autres trains partant en direction du Nord-Est.



L’homme au guichet ne nous renseignera pas sur les trains, mais nous délivrera une information précieuse : « Si vous souhaitez obtenir vos billets Tatkal, allez plutôt au guichet bis de l’autre côté de la gare. Il ouvre à 9h30, vous passerez donc avant les appels de 10h ». Info ou intox ? N’ayant plus rien à perdre, nous parcourons les 10 minutes qui nous séparent de ce guichet. Sur place, un homme attend déjà avec plusieurs formulaires « tatkal » apposés en pile devant le guichet encore fermé. Il nous demande quel est notre train, et après avoir vérifié les autres bulletins, nous informe que nous sommes 5èmes dans la queue, mais les premiers à demander le Guwahati Express. Pleins d’espoir, nous attendons une heure l’ouverture du guichet.



9h30, la guichetière se fait attendre. 9h35, elle lève enfin le petit rideau. Un garçon passe devant tout le monde, nous ne comprenons pas. L’homme dans la queue nous annonce alors que l’ouverture des billets tatktal ne se fait qu’à 10 heures. Emplis de déception, de colère et de désespoir, nous repartons aussitôt vers le premier guichet où nous avions au moins un numéro de passage. Mais après 10 minutes passées à attendre en observant l’importance de la foule qui attend aussi, nous nous rendons à l’évidence : nous n’aurons jamais ces billets. Dans un dernier élan d’espoir, nous décidons instantanément de filer à l’autre guichet. Nous traversons la gare à toute allure : il est 9h55 et le guichet bis a déjà commencé les ventes de Tatktal. Nous passons tout de suite : les ventes n’ayant pas encore ouvert de l’autre côté, nous passons les premiers sur la liste. Bingo : nous obtenons nos billets !!!

Heureux, victorieux, nous repartons tout frais dans l’idée de ce nouveau départ récupérer notre scooter. Chose étrange : notre deux-roues est attaché avec tous ses voisins de rangée par une chaîne. Un homme nous voit sceptiques et vient alors nous expliquer que nous sommes garés sur une zone interdite au stationnement et que nous devons donc aller payer une amende à la police municipale afin de pouvoir récupérer notre scooter. Est-ce que ce pays est sérieux ?



Il est vrai que la police me manquait déjà. Nous repartons donc retrouver nos amis fonctionnaires. Très heureux d’avoir obtenu nos billets, notre karma est positif : nos grands sourires et notre peau blanche nous permettront de récupérer notre scooter sans avoir à payer. Les policiers ont cette fois été de bonne foi et ont admis qu’il n’était pas évident pour des étrangers de comprendre que le stationnement était effectivement interdit.


Une belle journée s’annonce. Demain nous partons pour 60 heures de train. R. commence déjà à douter sur sa volonté à vraiment vouloir affronter cette épreuve. Moi, je suis un peu stressée à l’idée de partir dans cette contrée lointaine et inconnue, mais excitée à l’idée du périple qui nous attend. 


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