Nous voilà repartis vers le Nord,
direction Ernakulam, plus connue sous le nom de « Kochi ». Ancien
comptoir irlandais, « Fort Kochi », est la partie ancienne de la
ville qui forme une presque île, célèbre pour ses ruelles bordées de jolies
maisons et pour son activité de pêche aux carrelets chinois.
A peu près remise sur pied mais le ventre bien vide, je me sens d’attaque pour deux nouvelles heures de bus. Nous
arrivons à Ernakulmam, nous apprêtant à être comme toujours harcelés par une
dizaine de chauffeurs de rickshaw qui nous sautent dessus à peine descendus du
bus. Mais cette fois, pas de rickshaw. C’est bien dommage car aujourd’hui nous
en avons vraiment besoin ! Le port depuis lequel nous devons prendre un
bateau pour Fort-Kochi se trouve à 3km, hors je me sens encore toute affaiblie
et je ne me sens pas du tout de marcher avec 20kg sur les épaules sous la
chaleur du plein après-midi. Après 30 longues minutes de recherche d’un
tuk-tuk, nous apercevons une « gare » de rickshaws : ils sont
plusieurs dizaines garés dans un parc, sans personne à l’intérieur. Cela nous
paraît bien louche car les rickshaw en Inde circulent toujours sans-cesse à la
recherche de passagers. Avec humour, nous imaginons une « grève des
rickshaw » : eh bien ce n’était pas si drôle. Des passants nous
confirment : il y a effectivement… une grève des rickshaw ! Pas
d’autre choix possible, nous devrons marcher.
Une heure plus tard, nous atteignons
enfin l’embarcadère. Il nous faudra encore autant de temps avant d’arriver sur
la presqu’île de Fort-Kochi. Mais le voyage en valait la peine : cette
petite ville ancienne est particulièrement jolie. On y retrouve une atmosphère
occidentale similaire à celle de Pondichéry, où il est agréable de flâner dans
les ruelles bordées de jolies maisons et de boutiques d’artisanat. Il nous
reste encore à trouver un hébergement. Les premiers que nous visitons sont tous
complets ou bien trop chers pour nous. Epuisés, nous nous arrêtons quelques
instants sur un banc. C’est alors qu’une moto s’arrête devant nous. Un indien
au look afro nous aborde : il tient une Guest House et a une chambre
libre. Il nous propose de nous emmener en moto jusque là-bas. Je prends ça
comme un signe providentiel et laisse R. partir avec l’afro-indien tandis que je
reste sur le banc pour garder les sacs. Chambre approuvée par R., nous allons nous
installer là-bas, partant chacun notre tour en moto avec notre hôte.
Kochi étant une ville très
touristique, nous pouvons de nouveau louer un scooter. Nous profitons donc du
véhicule pour découvrir les alentours et sortir des sentiers battus. En
descendant au hasard vers le sud, nous prenons vite goût à rouler en
scooter : tous les indiens nous font des coucous sur la route, souvent
même accompagnés de francs « Hellos !! » et de sourires colgate.
Nous nous arrêtons dans un petit village de bord de mer, bien à l’écart des
flux habituels de touristes. Nous sortons nos appareils photos et nous
retrouvons vite au cœur de la vie de ces petites rues résidentielles. Les gens
passent, nous interpellent, demandent une photo, sourient,… Les enfants,
heureux, se font vite nos guides et nous amènent sur une magnifique plage. Quelques
rencontres éphémères, mais chaleureuses, teinteront notre petit séjour ici de
beaux souvenirs.
Mais en fait, ces quelques jours
à Kochi ne seront pas tant marquants par les sourires échangés que par
l’évènement tout à fait déterminant pour la suite du voyage. En effet, R.
m’avait depuis bien longtemps demandé à aller visiter les états du Nord-Est,
l’espèce d’ex-croissance indienne de l’autre côté du Bengladesh. Je n’avais pas
dit non, mais nous sommes finalement partis dans la direction opposée et nous
nous trouvons maintenant au Sud-Ouest du pays. Lorsque nous étions coincés à
Varkala, R. m’avait proposé de reprendre un vol intérieur, mais je n’avais pas
très envie de traverser le pays d’une traite. Or il avait justement vu qu’une
ligne de train reliait Kochi à Guwahati, la capitale de ces états du Nord-Est.
L’idée d’un périple en train me plaisait bien : une belle façon de
mélanger authenticité, découverte et réalisation du symbole même du voyage, la
traversée en train.
Le problème, c’est qu’en Inde
tous les trains sont complets bien longtemps à l’avance. Heureusement, il existe
une solution de dernier recours, à l’étrange nom de « tatkal ».
Tatkal, ce sont ces billets « d’urgence » que l’on ne peut obtenir
que le matin de la veille du départ, à 10 heures. Mais ces billets sont
évidemment limités en nombre et sont donc réservés aux plus chanceux, ou plutôt
aux plus lèves-tôt, ou en fait même aux plus malins. Quoi qu’il en soit,
« tatkal » reste encore une notion floue pour nous, mais représente
notre grand espoir de pouvoir partir à l’autre bout du pays et fuir cette
région très touristique pour un coin tout à fait mystérieux.
Le « Guwahati Express »
passe le mardi soir par Kochi. Lundi matin, nous devons donc être aux aguets
pour obtenir ce fameux Tatkal. Après nous être renseignés auprès de différentes
personnes sur la démarche, le lieu et l’heure, nous prévoyons d’arriver à 8h en
gare d’Ernakulam. Ce lundi matin, R. prend donc les commandes de notre scooter
et nous emmène pour 1h de traversée à la fraîche, au cœur du pôle urbain. Devant
de grands panneaux « No Parking », nous garons notre scooter, parmi
la centaine d’autres deux-roues déjà stationnés, concluant que ces panneaux
doivent être à l’image des règles en Inde : un pur élément décoratif, mais
pas du tout usuel.
Après 30 minutes de queue, nous
accédons à un guichet. Première désillusion : le vendeur nous informe que
nous arrivons bien trop tard pour espérer avoir un billet pour le Guwahati
express, puisque nous sommes les 15èmes sur la liste et qu’il ne reste que 3
places dans le train. Il nous délivre quand-même un numéro de passage, que nous
devons conserver jusqu’à l’appel de 10h. L’obtention des billets semble perdue
d’avance : devons-nous repartir au lieu de perdre 2 heures supplémentaires
à attendre ou devrions-nous attendre dans l’espoir d’un éventuel miracle (que
je nommerai le miracle indien ou l’art de rendre l’impossible tout à fait
possible) ? Désemparés, nous nous asseyons un moment pour réfléchir à une
solution de remplacement, à un itinéraire bis. Nous nous rendons donc à un
guichet pour nous renseigner sur les autres trains partant en direction du
Nord-Est.
L’homme au guichet ne nous
renseignera pas sur les trains, mais nous délivrera une information
précieuse : « Si vous souhaitez obtenir vos billets Tatkal, allez
plutôt au guichet bis de l’autre côté de la gare. Il ouvre à 9h30, vous
passerez donc avant les appels de 10h ». Info ou intox ? N’ayant plus rien
à perdre, nous parcourons les 10 minutes qui nous séparent de ce guichet. Sur
place, un homme attend déjà avec plusieurs formulaires « tatkal »
apposés en pile devant le guichet encore fermé. Il nous demande quel est notre
train, et après avoir vérifié les autres bulletins, nous informe que nous
sommes 5èmes dans la queue, mais les premiers à demander le Guwahati Express.
Pleins d’espoir, nous attendons une heure l’ouverture du guichet.
9h30, la guichetière se fait
attendre. 9h35, elle lève enfin le petit rideau. Un garçon passe devant tout le
monde, nous ne comprenons pas. L’homme dans la queue nous annonce alors que
l’ouverture des billets tatktal ne se fait qu’à 10 heures. Emplis de déception,
de colère et de désespoir, nous repartons aussitôt vers le premier guichet où
nous avions au moins un numéro de passage. Mais après 10 minutes passées à
attendre en observant l’importance de la foule qui attend aussi, nous nous
rendons à l’évidence : nous n’aurons jamais ces billets. Dans un dernier
élan d’espoir, nous décidons instantanément de filer à l’autre guichet. Nous
traversons la gare à toute allure : il est 9h55 et le guichet bis a déjà
commencé les ventes de Tatktal. Nous passons tout de suite : les ventes n’ayant
pas encore ouvert de l’autre côté, nous passons les premiers sur la liste.
Bingo : nous obtenons nos billets !!!
Heureux, victorieux, nous
repartons tout frais dans l’idée de ce nouveau départ récupérer notre scooter.
Chose étrange : notre deux-roues est attaché avec tous ses voisins de
rangée par une chaîne. Un homme nous voit sceptiques et vient alors nous
expliquer que nous sommes garés sur une zone interdite au stationnement et que
nous devons donc aller payer une amende à la police municipale afin de pouvoir
récupérer notre scooter. Est-ce que ce pays est sérieux ?
Il est vrai que la police me
manquait déjà. Nous repartons donc retrouver nos amis fonctionnaires. Très
heureux d’avoir obtenu nos billets, notre karma est positif : nos grands
sourires et notre peau blanche nous permettront de récupérer notre scooter sans
avoir à payer. Les policiers ont cette fois été de bonne foi et ont admis qu’il
n’était pas évident pour des étrangers de comprendre que le stationnement était
effectivement interdit.
Une belle journée s’annonce.
Demain nous partons pour 60 heures de train. R. commence déjà à douter sur sa
volonté à vraiment vouloir affronter cette épreuve. Moi, je suis un peu
stressée à l’idée de partir dans cette contrée lointaine et inconnue, mais
excitée à l’idée du périple qui nous attend.
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