vendredi 14 février 2014

65 heures, 37 minutes et 8 secondes

Ce n’est ni un défi ni une punition : une simple idée un peu saugrenue davantage motivée par la soif d’expérience que par des raisons économiques. Kochi-Guwahati, 3250 km, 6 états, un train nommé « Guwahati superfast Express » qui fait des pointes à 60km, pour un total de 66 heures en immersion communautaire dans un confort première classe à l’indienne.

Jour 1, 18h30. Le train a déjà une heure de retard. Le pire des 66h je crois que c’est encore l’heure -1, celle que l’on passe à attendre sur le quai, debout, au milieu de centaines d’autres personnes, en se demandant comment tous ces gens peuvent rentrer dans un même train. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

Jour 1, 19h15. Le train arrive en gare. Nous commençons un marathon sur le quai, une sorte de courses d’orientation pour trouver notre wagon. Ouf, nous sommes dans le train.

Jour 1, 19h20. Je crois qu’il y a une erreur. Nous avons réservé un billet en première classe. Les places indiquées sont deux lits minuscules dans le couloir, simplement séparés du couloir par un rideau. Seul le lit du bas possède des fenêtres, mais on ne tient même pas assis en se tenant droit.

Notre couchette inférieure (à gauche)


Jour 1, 19h30. Ce n’est pas une erreur, nous sommes bien en première classe. On a eu tatkal, on ne peut pas tout avoir.

Jour 1, 19h31. Nous entendons des voix depuis le fond du couloir, qui se rapprochent vers nous « etchelabibiiii etchela bibiiiiiii ». Ce sont des vendeurs ambulants. Ils passeront toutes les demi-heures environ, pendant 66 heures, pour nous vendre de l’eau (« panee panee panee panee bottle »), du thé (« chaï, tea, lemon teaaaa, chaï, tea, lemon teaaa »), à manger (« biryani biryani biryani biryaniiii) des plats chauds, des gâteaux ou des paquets de chips et plein d’autres choses plus ou moins incongrues (cotton saree, mobile phones, etc).

Vendeur de chaï (1er plan) et vendeur d'eau (2nd plan)

Jour 1, 19h45. Nous cherchons et trouvons une technique pour « ranger » et « sécuriser » nos sacs respectifs sur nos lits respectifs. Kumar dormira sous mon lit.

Jour 2, 20h15. Il est temps de partir explorer le train, à la découverte des toilettes et du lavabo. Est-il humainement possible de se retenir 66 heures ? Non ? Tant pis, nous avons une réserve de lingettes et d’alcool à 90°, ça devrait suffire pour 3 jours.

Le lavabo

Jour 1, 22h. Un peu de lecture et au lit. On ne s’est jamais couché aussi tôt depuis le début de notre voyage. Mais là je crois bien que c’est une question de survie. Je prends le lit du bas, celui qui a les fenêtres. R. dort au-dessus, il semblerait que la clim tourne à fond.

Jour 2, 7h. Il faut que je dorme encore, il faut que je dorme encore.

Jour 2, 9h. Un petit effort, il faut que je dorme encore.

Jour 2. 10h. Je ne dormirai pas plus tard. C’est déjà pas mal, dans 2h ce sera officiellement la moitié de la journée. Il n’en restera plus que 2 (jours, pas heures). Quand-même.

Jour 2, 10h15. Et si je faisais un peu de toilette ? Un petit-dej devrait tuer le temps aussi.

Jour 2, 11h. Je vais profiter de tout ce temps libre pour écrire pour mon blog. Ouf, il y une prise électrique au-dessus de mon lit !
Bon en fait, la prise électrique marche de façon tout à fait aléatoire, ce n’est pas grave, je ferai avec.

Jour 2, 12h. R. descend enfin de son lit, je pensais qu’il dormait. En fait, il attendait, dans le noir, puisque son lit n’a pas de fenêtre. Le pauvre. Je partage mon lit, chacun se met devant son écran.

Jour 2. 13h30. Il serait bien l’heure de manger. Que diriez-vous d’un bon sandwich concombre/moutarde mon cher R. ? Si si, je vous assure que c’est faisable d’éplucher et de couper ses légumes dans le train ! Et en plus, ça tue le temps.

Jour 2, 14h. R. m’annonce qu’il ne tiendra jamais 3 jours dans ce train, et qu’il souhaite descendre au prochain arrêt, où qu’on soit. Déçue, mais compréhensive, j’accepte.

Jour 2, 15h. Le prochain arrêt est là. Rien qui ne nous inspire. On restera encore un peu dans le train finalement…

Jour 2, 15h30. On tue le temps : contemplation des paysages (malheureusement bien plats et pas très intéressants à cet endroit), lecture, musique, bavardages, on s’occupe quoi.

Jour 2, 18h. Finalement nous sommes toujours dans le train, R. tient encore le coup.

Jour 2, 19h. Il serait bien l’heure de dîner. Nous tentons le biryani à l’œuf d’un vendeur ambulant. Bon, demain on se refera des sandwichs aux concombres.

Jour 2, 19h45. Toutes les boîtes de biryani sont entassées dans l’espace entre les 2 wagons. L’interstice est désormais une poubelle géante. Ce n’est pas comme si demain matin un employé allait plier tous les draps propres à installer sur les lits assis par terre à l’entrée du wagon…

Avant les poubelles du repas...

Jour 2, 20h. Je vais me laver les dents. Un homme assis dans le couloir (beaucoup d’indiens passent le voyage dans le couloir devant les portes [ouvertes]), me demande d’où je viens et où je vais. Il commence alors à me mettre en garde : « Les villes des états du nord-est sont dangereuses la nuit. Ne sortez jamais la nuit. ». Cet endroit mystérieux me faisait déjà un peu peur, je suis encore plus angoissée.

Jour 2, 20h30. Un petit film devrait me détendre. Mais qu’est-ce qu’on est inconfortablement installés…

Jour 2, 22h. Cette fois c’est moi qui vais monter sur le lit du haut. R. a attrapé une angine à cause des ventilateurs de la clim dirigés droit sur lui. Moi je trouve juste comment dévier l’air des ventilateurs : je n’attraperai pas d’angine.

Jour 3, 9h30. Voilà un petit goût de rituel : toilette, petit-dej et écriture. Ça nous amènera jusqu’à midi.

Jour 3, 12h. Sandwich aux concombres (quand je vous disais qu’on avait fait une réserve de légumes…).

Jour 3, 15h. Un bruit bizarre arrive du fond du couloir. On dirait un truc qui rampe. On ouvre les rideaux : un enfant est effectivement en train de ramper par terre, en poussant à l’aide d’un carton tous les déchets qui traînent au sol, et il y en a un paquet ! C'est un vrai choc.

Jour 3, 15h15. Le tas de déchets est parti avec le reste des déchets dans l’interstice entre les wagons. Le petit garçon vient nous demander une pièce. On le paye, j’ai sérieusement envie de pleurer.

Jour 3, 15h30. Nous sommes arrêtés dans une grande ville. Nous sommes à Calcutta.

Jour 3, 15h35. Des mendiants montent dans le train. Le premier est unijambiste. La seconde n’a plus d’avant-bras. Je suis horrifiée. Nous fermons les rideaux, je ne préfère pas voir la misère.

Jour 3, 15h45. Ce n’est pas deux rideaux à scratch qui vont arrêter les mendiants. Un premier moignon passe à travers les rideaux, en quête de monnaie. Quelques autres suivront. On se croirait dans un film d’horreur.

Jour 3, 16h30. Nous avons redémarré et passé Calcutta. Il n’y a plus de mendiants dans le train. Par la fenêtre, je peux voir tous les bidonvilles où les gens vivent dans des conditions extrêmement précaires, dans une grande pauvreté. Je n’irai jamais à Calcutta…

Jour 3, 19h. Le temps se fait trop long. Heureusement, il va être l’heure de manger.

Jour 3, 20h30. Un nouvel enfant rampe dans le couloir pour ramasser les déchets...

Jour 3, 21h30. Les gens se couchent, mais la climatisation a été poussée à son maximum. Il doit faire 15 degrés dans le train, contre une large vingtaine dehors.
Nous allons voir les contrôleurs pour leur demander de monter un peu la température.

Jour 3, 22h. Il fait toujours aussi froid. R. va jeter un œil aux tableaux de contrôle pour tenter de résoudre le problème  lui-même. Mais nous avons peur de toucher aux mauvais boutons et nous préférons retourner voir sagement les contrôleurs pour insister de nouveau. Ils montent (un petit peu) la température.

Jour 3, 22h30. Je prends le lit du bas.

Jour 4, 8h. Nous nous réveillons « tôt » aujourd’hui car nous devons arriver à 10h.

Jour 4, 10h. Nous ne sommes pas du tout arrivés visiblement. En fait, nous avons 3 heures de retard. Ces heures seront longues, très longues.
Nous nous occupons à scruter nos voisins d’en face, un couple de jeunes indiens qui communique en anglais. Nous concluons que le garçon, aux airs asiatiques, vient du Nord-Est et étudie dans le sud de l’Inde où il a dû rencontrer sa copine, qui parle une autre langue indienne. Peut-être tamoul.

Oui, on s’occupe comme on peut…

Jour 4, 11h45
Nous nous faisons accoster par de nombreux chauffeurs de taxi partagés qui veulent savoir où nous allons. Ils proposent des destinations du Nord-Est, visiblement nous arrivons bientôt.

Jour 4, 12h
Nous traversons un immense fleuve qui aurait de quoi faire rougir la Loire. Ca doit être le fameux "Brahmapoutre". Je crois que nous sommes très bientôt arrivés.

Jour 4, 12h52
Voici enfin la lumière du jour ! Je retrouve la sensation de la marche, l'usage de mes jambes.

...Nous aurons survécu, nous aurons atteint notre but, nous sommes en Assam, riches d'une expérience que tout le monde ne saurait avoir vécue...! :)

mardi 11 février 2014

Kumar

Kumar, c’est notre nouveau compagnon de voyage.
Il mesure environ 40 cm de haut et 30 cm de large. Il doit peser 400 grammes. Il est rond, tout vert et doté d’une jolie anse robuste.

J’ai trouvé Kumar lorsque R. m’a demandé d’acheter un seau afin que nous puissions laver nos vêtements avant de partir pour le Nord-Est. Il était destiné à un usage unique, prédisposé à rester à Kochi, sa ville d’origine. Mais Kumar est beau, attachant et surtout bien pratique.

Il se trouve que nous avons commencé à nous doter d’un peu de matériel de cuisine afin de devenir un minimum autonomes dans la consommation des aliments et des boissons : deux verres et une assiette nous accompagnent depuis quelques temps déjà. Or, le jour du départ, nous complétons notre attirail par un épluche légumes et une réserve de concombres, du pain et de la moutarde, deux cakes, un litre de jus d’orange et deux bouteilles d’eau, destinés à être les uniques ingrédients de nos repas pour les 3 jours à venir.

Ne sachant plus trop comment transporter tout cela, nous avons pensé que Kumar devrait nous accompagner. Il sera le partenaire idéal pour porter tout cet attirail.
Dans le train, Kumar sera effectivement d’une efficacité redoutable. R. songera encore à abandonner Kumar aussitôt arrivés dans les états du Nord-Est. Mais le temps fera de lui un compagnon indispensable, qui nous suivra longtemps, très longtemps, mais malheureusement trop peu longtemps. Kumar sera devenu comme un fils, une vraie mascotte qui fera de nous des voyageurs singuliers, mais que nous devrons lâchement abandonner à la fin de notre périple dans le nord-est, faute de lui avoir réservé son billet d'avion.

Je vous expliquerai par la suite ce qu’il adviendra à notre cher et tendre seau.

Une réplique de Kumar



lundi 10 février 2014

Tatkal, nous t'aurons !

Nous voilà repartis vers le Nord, direction Ernakulam, plus connue sous le nom de « Kochi ». Ancien comptoir irlandais, « Fort Kochi », est la partie ancienne de la ville qui forme une presque île, célèbre pour ses ruelles bordées de jolies maisons et pour son activité de pêche aux carrelets chinois.



A peu près remise sur pied mais le ventre bien vide, je me sens d’attaque pour deux nouvelles heures de bus. Nous arrivons à Ernakulmam, nous apprêtant à être comme toujours harcelés par une dizaine de chauffeurs de rickshaw qui nous sautent dessus à peine descendus du bus. Mais cette fois, pas de rickshaw. C’est bien dommage car aujourd’hui nous en avons vraiment besoin ! Le port depuis lequel nous devons prendre un bateau pour Fort-Kochi se trouve à 3km, hors je me sens encore toute affaiblie et je ne me sens pas du tout de marcher avec 20kg sur les épaules sous la chaleur du plein après-midi. Après 30 longues minutes de recherche d’un tuk-tuk, nous apercevons une « gare » de rickshaws : ils sont plusieurs dizaines garés dans un parc, sans personne à l’intérieur. Cela nous paraît bien louche car les rickshaw en Inde circulent toujours sans-cesse à la recherche de passagers. Avec humour, nous imaginons une « grève des rickshaw » : eh bien ce n’était pas si drôle. Des passants nous confirment : il y a effectivement… une grève des rickshaw ! Pas d’autre choix possible, nous devrons marcher.

Une heure plus tard, nous atteignons enfin l’embarcadère. Il nous faudra encore autant de temps avant d’arriver sur la presqu’île de Fort-Kochi. Mais le voyage en valait la peine : cette petite ville ancienne est particulièrement jolie. On y retrouve une atmosphère occidentale similaire à celle de Pondichéry, où il est agréable de flâner dans les ruelles bordées de jolies maisons et de boutiques d’artisanat. Il nous reste encore à trouver un hébergement. Les premiers que nous visitons sont tous complets ou bien trop chers pour nous. Epuisés, nous nous arrêtons quelques instants sur un banc. C’est alors qu’une moto s’arrête devant nous. Un indien au look afro nous aborde : il tient une Guest House et a une chambre libre. Il nous propose de nous emmener en moto jusque là-bas. Je prends ça comme un signe providentiel et laisse R. partir avec l’afro-indien tandis que je reste sur le banc pour garder les sacs. Chambre approuvée par R., nous allons nous installer là-bas, partant chacun notre tour en moto avec notre hôte.



Kochi étant une ville très touristique, nous pouvons de nouveau louer un scooter. Nous profitons donc du véhicule pour découvrir les alentours et sortir des sentiers battus. En descendant au hasard vers le sud, nous prenons vite goût à rouler en scooter : tous les indiens nous font des coucous sur la route, souvent même accompagnés de francs « Hellos !! » et de sourires colgate. Nous nous arrêtons dans un petit village de bord de mer, bien à l’écart des flux habituels de touristes. Nous sortons nos appareils photos et nous retrouvons vite au cœur de la vie de ces petites rues résidentielles. Les gens passent, nous interpellent, demandent une photo, sourient,… Les enfants, heureux, se font vite nos guides et nous amènent sur une magnifique plage. Quelques rencontres éphémères, mais chaleureuses, teinteront notre petit séjour ici de beaux souvenirs.






Mais en fait, ces quelques jours à Kochi ne seront pas tant marquants par les sourires échangés que par l’évènement tout à fait déterminant pour la suite du voyage. En effet, R. m’avait depuis bien longtemps demandé à aller visiter les états du Nord-Est, l’espèce d’ex-croissance indienne de l’autre côté du Bengladesh. Je n’avais pas dit non, mais nous sommes finalement partis dans la direction opposée et nous nous trouvons maintenant au Sud-Ouest du pays. Lorsque nous étions coincés à Varkala, R. m’avait proposé de reprendre un vol intérieur, mais je n’avais pas très envie de traverser le pays d’une traite. Or il avait justement vu qu’une ligne de train reliait Kochi à Guwahati, la capitale de ces états du Nord-Est. L’idée d’un périple en train me plaisait bien : une belle façon de mélanger authenticité, découverte et réalisation du symbole même du voyage, la traversée en train.

Le problème, c’est qu’en Inde tous les trains sont complets bien longtemps à l’avance. Heureusement, il existe une solution de dernier recours, à l’étrange nom de « tatkal ». Tatkal, ce sont ces billets « d’urgence » que l’on ne peut obtenir que le matin de la veille du départ, à 10 heures. Mais ces billets sont évidemment limités en nombre et sont donc réservés aux plus chanceux, ou plutôt aux plus lèves-tôt, ou en fait même aux plus malins. Quoi qu’il en soit, « tatkal » reste encore une notion floue pour nous, mais représente notre grand espoir de pouvoir partir à l’autre bout du pays et fuir cette région très touristique pour un coin tout à fait mystérieux.

Le « Guwahati Express » passe le mardi soir par Kochi. Lundi matin, nous devons donc être aux aguets pour obtenir ce fameux Tatkal. Après nous être renseignés auprès de différentes personnes sur la démarche, le lieu et l’heure, nous prévoyons d’arriver à 8h en gare d’Ernakulam. Ce lundi matin, R. prend donc les commandes de notre scooter et nous emmène pour 1h de traversée à la fraîche, au cœur du pôle urbain. Devant de grands panneaux « No Parking », nous garons notre scooter, parmi la centaine d’autres deux-roues déjà stationnés, concluant que ces panneaux doivent être à l’image des règles en Inde : un pur élément décoratif, mais pas du tout usuel.



Après 30 minutes de queue, nous accédons à un guichet. Première désillusion : le vendeur nous informe que nous arrivons bien trop tard pour espérer avoir un billet pour le Guwahati express, puisque nous sommes les 15èmes sur la liste et qu’il ne reste que 3 places dans le train. Il nous délivre quand-même un numéro de passage, que nous devons conserver jusqu’à l’appel de 10h. L’obtention des billets semble perdue d’avance : devons-nous repartir au lieu de perdre 2 heures supplémentaires à attendre ou devrions-nous attendre dans l’espoir d’un éventuel miracle (que je nommerai le miracle indien ou l’art de rendre l’impossible tout à fait possible) ? Désemparés, nous nous asseyons un moment pour réfléchir à une solution de remplacement, à un itinéraire bis. Nous nous rendons donc à un guichet pour nous renseigner sur les autres trains partant en direction du Nord-Est.



L’homme au guichet ne nous renseignera pas sur les trains, mais nous délivrera une information précieuse : « Si vous souhaitez obtenir vos billets Tatkal, allez plutôt au guichet bis de l’autre côté de la gare. Il ouvre à 9h30, vous passerez donc avant les appels de 10h ». Info ou intox ? N’ayant plus rien à perdre, nous parcourons les 10 minutes qui nous séparent de ce guichet. Sur place, un homme attend déjà avec plusieurs formulaires « tatkal » apposés en pile devant le guichet encore fermé. Il nous demande quel est notre train, et après avoir vérifié les autres bulletins, nous informe que nous sommes 5èmes dans la queue, mais les premiers à demander le Guwahati Express. Pleins d’espoir, nous attendons une heure l’ouverture du guichet.



9h30, la guichetière se fait attendre. 9h35, elle lève enfin le petit rideau. Un garçon passe devant tout le monde, nous ne comprenons pas. L’homme dans la queue nous annonce alors que l’ouverture des billets tatktal ne se fait qu’à 10 heures. Emplis de déception, de colère et de désespoir, nous repartons aussitôt vers le premier guichet où nous avions au moins un numéro de passage. Mais après 10 minutes passées à attendre en observant l’importance de la foule qui attend aussi, nous nous rendons à l’évidence : nous n’aurons jamais ces billets. Dans un dernier élan d’espoir, nous décidons instantanément de filer à l’autre guichet. Nous traversons la gare à toute allure : il est 9h55 et le guichet bis a déjà commencé les ventes de Tatktal. Nous passons tout de suite : les ventes n’ayant pas encore ouvert de l’autre côté, nous passons les premiers sur la liste. Bingo : nous obtenons nos billets !!!

Heureux, victorieux, nous repartons tout frais dans l’idée de ce nouveau départ récupérer notre scooter. Chose étrange : notre deux-roues est attaché avec tous ses voisins de rangée par une chaîne. Un homme nous voit sceptiques et vient alors nous expliquer que nous sommes garés sur une zone interdite au stationnement et que nous devons donc aller payer une amende à la police municipale afin de pouvoir récupérer notre scooter. Est-ce que ce pays est sérieux ?



Il est vrai que la police me manquait déjà. Nous repartons donc retrouver nos amis fonctionnaires. Très heureux d’avoir obtenu nos billets, notre karma est positif : nos grands sourires et notre peau blanche nous permettront de récupérer notre scooter sans avoir à payer. Les policiers ont cette fois été de bonne foi et ont admis qu’il n’était pas évident pour des étrangers de comprendre que le stationnement était effectivement interdit.


Une belle journée s’annonce. Demain nous partons pour 60 heures de train. R. commence déjà à douter sur sa volonté à vraiment vouloir affronter cette épreuve. Moi, je suis un peu stressée à l’idée de partir dans cette contrée lointaine et inconnue, mais excitée à l’idée du périple qui nous attend. 


vendredi 7 février 2014

Mon baptême indien

Deuxième piqûre faite, il est temps de boucler notre sac à dos et de nous remettre en route. Nouvelle étape : Alleppey, pour voir les célèbres backwaters du Kerala. Après un premier trajet de bus à l’indienne sous une trentaine de degrés jusqu’à la ville de Kollam, je souhaitais prendre le fameux bateau « croisière » qui remonte les 80 kilomètres jusqu’à Alleppey en empruntant les canaux navigables. Mais le bateau n’a rien de ce à quoi je m’attendais : beaucoup trop large, bien trop peu traditionnel. Nous décidons donc de reprendre le bus pour profiter des excursions en bateau directement sur place. A la gare des bus, R. est assailli par les rabatteurs de Guest Houses qui cherchent tous à lui vendre leur hébergement. Mais nous préférons reprendre nos bonnes habitudes : partir à pied en direction d’une adresse du Lonely Planet.



Nous trouvons finalement un autre hébergement, qui s'avère en fait être celui de l’un des rabatteurs, qui nous avait d’ailleurs couru après en nous insultant de menteurs pour nous demander de lui redonner sa carte de visite. Mais il n’est pas rancunier, nous non plus, et cela nous a fait tous rire au final. Le jeune de la Guest House me propose un tour de 4h sur un petit bateau traditionnel. Nous acceptons, cela nous évitera d'avoir à nous faire harceler par tous les guichetiers qui jonchent les bords de rivière dans la ville. L’embarcadère semble loin, nous devons donc attendre que son grand-frère vienne pour nous y amener en moto. Au bout d’un quart d’heure, il débarque : il est grand, ultra souriant, porte un casque de l’avant-guerre et semble avoir beaucoup d’humour. Cerise sur le gâteau : il s’appelle Oscar ! Pas courant pour un indien. Je monte donc en sandwich sur la moto, entre R. et Oscar, qui nous emmène à destination. Au bout d’un petit chemin, un petit bateau, mélange entre une barque, une toue-cabanée et une gondole, nous attend… avec notre « pagayeur ».




Passés quelques mètres, le pagayeur nous invite à « essayer de pagayer » : il deviendra assez insistant par la suite et ses arrêts fréquents nous feront comprendre que nous sommes plutôt « conviés à l’aider à pagayer ». Les paysages sont magnifiques. Je retrouve un peu l’ambiance des marais poitevins… en plus exotique et plus ensoleillée ! Pour me repentir de l’année de mes 14 ans où j’avais laissé mes parents pagayer sur les canaux du Poitou pendant que j’écoutais Cat Stevens dans mon baladeur, je décide d’aider ce pauvre homme. Mais après quelques dizaines de minutes, je commence à sentir le soleil me taper durement sur la tête hors nous n’avons même pas d’eau : le type de la Guest House nous avait dit que nous pourrions en acheter en chemin. Mais par « en chemin », il entendait « en chemin sur l’eau » et non pas « en chemin pour l’embarcadère ». Je finis donc par laisser l’homme pagayer seul de nouveau. Après tout nous le payons pour ça … et pas sèchement !



Après un déjeuner « traditionnel » fait de riz et de légumes en sauce disposés sur une feuille de banane qui sert d’assiette, je m’offre une noix de coco fraîche en dessert. Nous remontons dans le bateau… et déjà je commence à me sentir mal. En quelques minutes, la nausée m’atteint lourdement ! A chaque minute, mon état s’empire et je finis par me demander comment je vais pouvoir tenir les 2h de bateau restantes. J’accuse la noix de coco. Avec le recul, je me dis que je l’ai sans doute condamnée un peu hâtivement, mais à ce moment-là j’avais besoin d’un coupable.



Nous demandons au chauffeur de bien vouloir nous reconduire au plus vite à l’embarcadère. Mais il feint de ne pas comprendre et au lieu de cela, il s’arrête de pagayer, nous propose à plusieurs reprises d’aller boire du chaï et finit même par emprunter… un cul de sac ! « I don’t want a chaÏ, I’m sick. Please, take us back quickly, pleeease ! Are you laughing at me ?! Is this a dead-end way ?? I told you I’m badly sick and I really really need to go back to the Guest House…. NOW ! ». Là, j’ai commencé à me sentir vraiment désespérée. R. a donc dû se mettre aux pagaies.

Au bout d'une demi-heure, nous atteignons enfin le bord, où la providence m'a déposé un tuk-tuk vacant ! Le trajet jusqu’à l’hôtel aura été le plus long de tout le voyage. Eh bien oui, je n’aurais pas échappé à la « maladie » en Inde. Il paraît que ça survient toujours quand on prend trop confiance… j’avais effectivement dû être un peu optimiste en commandant une salade aux crevettes la veille, pour notre dernier soir dans les resort à l’occidentale de Varkala ! Ça m’aura valu quelques heures pas drôles du tout, vraiment pas drôles. Mais je m’en sort bien : le lendemain matin je suis déjà sur pieds !

mercredi 5 février 2014

Sea, "soins" and sun

Après deux bonnes semaines passées à Pondichéry et heureuse d’avoir récupéré mon passeport, je décide qu’il est temps de partir un peu à la découverte du pays. Mais je promets de revenir à l’asso, car je me suis attachée à toutes ces familles et à Bernadette, à qui je souhaite déjà revenir rendre visite. Mon ami R. m’a rejointe et nous décidons de voyager ensemble. Nous partons d’abord pour le Sud, objectif : atteindre la pointe sud de l’Inde, le bout du bout, à Kanyakumari.

Premier trajet en bus de nuit : les expériences forment la jeunesse, alors je sens que je me fais déjà vieille. Je ne comprenais pas bien ce qu’entendait Bernadette en nous disant que sur ce trajet « la route est très mauvaise ». Après une nuit d’insomnie, réveillés toutes les 10 minutes par les secousses du bus, je rejoins R. sur le fait qu’on privilégiera les trajets de jour pour la suite. Nous atteignons la ville de Madurai au petit matin. Nous commençons la journée par ce qui deviendra notre rituel, notre activité favorite : partir à la rechercher d’un hébergement. Quelques visites plus tard, nous optons pour celui qui nous semble au meilleur rapport qualité/prix. Certes le confort est sommaire, mais je suis impressionnée de voir que l’on se loge pour moins de 10€ la nuit. Après un nécessaire repos, nous partons à la découverte de la ville, réputée pour son magnifique temple.



Le lendemain, nous reprenons la route pour le sud.  Nous traversons le Tamil Nadu toute l’après-midi dans le bus, qui est bien plus agréable de jour lorsque nous pouvons contempler les paysages montagneux et les routes bordées de cocotiers sous un soleil estival. Nous arrivons à Kanyakumari à la tombée de la nuit. Objectif : trouver un hôtel, dans nos prix (à moins de 12 € la nuit), relativement propre et avec une chambre pour 2 personnes dotée d’une fenêtre qui donne sur l’extérieur. Ce n’est pas chose si facile, car les indiens ne partagent pas les mêmes critères de choix pour un hébergement : ils préfèrent la télé à la fenêtre et leur notion de propreté et de confort est différente de la nôtre. Mais nous trouvons finalement chaussure à notre pied. L’hôtel est situé au cœur du centre touristique de Kanykumari et le personnel est très agréable.

Nous passons une journée à visiter la jolie petite ville de bord de mer et son village de pêcheur. Les couleurs chatoyantes des maisons et bateaux s’offrent en spectacle devant nos yeux, contrastant avec le bleu vif du ciel et de la mer. Depuis la petite île sacrée au large des côtes, je découvre l’atmosphère spirituelle de l’Inde et je ressens la sensation d’être « au bout du bout ».






Le jour suivant, nous repartons à la gare routière prendre un bus pour le Kerala. Voyager sans aide d’une agence en Inde est à la fois très simple et très compliqué. Très simple, car il y a toujours un véhicule pour vous emmener quelque-part. Il n’est donc pratiquement pas nécessaire de vérifier les connexions d’une étape à une autre, il suffit de partir dans la direction souhaitée, on finit toujours par atteindre sa destination. Mais c’est aussi très compliqué, car obtenir l’information sur l’heure de départ, le temps de trajet, le prix et la destination exacte du véhicule peut se révéler être un réel parcours du combattant. Parfois, il faut compter plus de 3h pour parcourir 100km. Ce sera le cas pour cette fois : entre les 3 changements de bus, les arrêts tous les 5km et la vitesse de pointe à 60km/h … on n’avance pas bien vite !

En soirée, nous atteignons la capitale du Kerala, Trivandrum, dans laquelle nous devons donc passer la nuit. Un nouveau marathon commence pour trouver un hôtel. Sous 30°, dans la nuit et avec nos sacs d’une quinzaine de kilos sur le dos, nous visitons une quinzaine d’hôtels avant d’en trouver un qui possède une chambre libre. Nous faisons la rencontre d’un jeune homme, qui semble se soucier de nous voir errer dans les rues avec nos sacs sur le dos et qui nous dis connaître un hôtel tenu par des amis. Mais après plusieurs visites en sa compagnie, nous nous apercevons rapidement qu’il ne connaît personne et qu’il souhaite juste rester avec nous aussi longtemps que possible. Grâce à l’aide d’un réceptionniste attentionné, nous finissons par semer le jeune homme intrusif. Chambre d’hôtel trouvée, nous partons dîner dans un restaurant conseillé par le Lonely Planet. Il est plein à craquer, alors les serveurs nous assoient alors face à un couple de jeunes indiens. Je n’ai jamais vu ce genre de pratique au restaurant, mais nous sommes plutôt contents de cette rencontre puisque nous en profitons pour échanger pendant tout le repas, avec ces jeunes doctorants en psychiatrie et médecine.  Le couple nous propose même de nous redéposer en voiture à notre hôtel après le repas !

Le lendemain matin, nous partons pour Varkala, une station de bord de mer très réputée pour son cadre balnéaire. Nous trouvons sans trop de difficulté, grâce à l’aide d’un chauffeur de rickshaw bienveillant, un petit hôtel un peu à l’écart de la station, sur Odayam beach. L’endroit est très propre, agréable, avec une chambre qui a une belle terrasse et une vue immédiate sur la mer. Nous prévoyons de rester deux nuits, car le prix de la chambre dépasse un peu notre budget. Posés dans ce petit coin de paradis à l’ombre des cocotiers, nous profitons de balades côtières.




Le lendemain matin, je m’offre un footing car je n’ai pas pu faire de réelle activité depuis mes longues marches dans Jaipur. Mais au bout de quelques kilomètres, je suis stoppée par un chien qui me suit et dont je n’arrive plus à me débarrasser. Je finis par réussir à faire marche arrière et à le laisser derrière moi. Le jour suivant, nous partons nous baigner. La plage est magnifique, l’eau fait une vingtaine de degrés mais est bien agitée. Une vague nous propulse dans le sable, R. se retrouve avec quelques égratignures anodines mais néanmoins la peau en sang. Or, à peine nous quittons la plage, qu’arrivé de nulle part le chien qui m’avait suivie la veille lui saute dessus et lui lèche sa plaie au genou. Inquiets, nous sondons quelques locaux que nous croisons sur notre chemin, ainsi que le propriétaire de l’hôtel : tous nous disent de façon catégorique qu’il doit aller se faire vacciner. Le chien avait l’air sans danger, mais nous sommes peu rassurés et nous décidons de suivre les conseils unanimes.



Dimanche, 20h, nous partons à l’hôpital. Nous avons la chance d’être conduits dans un hôpital privé a priori propre et bien tenu. L’inscription ne prend pas plus de 5 minutes et coûte la somme de 3€ à peine. Pour le prix, nous entrons tous les 2 en salle d’urgences, où l’on se croirait plus dans un hall de passage que dans une salle de soins. Le médecin ausculte R., sa décision est formelle : il faut vacciner contre la rage et contre le tétanos. Le hic, c’est que le vaccin contre la rage consiste en 5 injections à intervalles précises. On nous envoie à la pharmacie de l’hôpital chercher les vaccins : il y en a pour 6€. Je comprends maintenant pourquoi le tourisme médical se développe rapidement en Inde… ! J’apprendrai toutefois par la suite que les vaccins délivrés en Inde n’ont pas la même composition que les vaccins européens, et peuvent donc se révéler totalement inefficaces. L’hôpital privé est sans comparaison avec l’hôpital public que j’avais visité à Jaipur, mais les normes d’hygiène restent néanmoins beaucoup moins rigoureuses que chez nous : quiconque rentre facilement dans la salle, l’infirmière fait asseoir R. sur le lit sans avoir mis aucune protection au préalable et elle procède à la piqûre sans qu’on ne l’ait vue avant se laver ou se désinfecter les mains…



9€ et 20 minutes plus tard, nous repartons vers notre hôtel. Nous décidons alors de prolonger de quelques jours ce séjour à Varkala, jusqu’à la date de l’injection suivante : maintenant que nous connaissons l’hôpital et sa relative propreté, il est plus rassurant d’y faire le prochain passage. Le prix de la chambre négocié à notre budget, nous nous offrons 5 jours de vacances et de repos sous le soleil, la plage et les cocotiers.

Même si Varkala est un microcosme occidental, une sorte de mini-disneyland où les faux-hippies viennent passer des vacances au soleil à moindre prix sous l’étiquette d’un séjour «relaxant » à coup de massags ayaurvédiques et cours de yoga, le séjour n’en reste pas moins sympathique. Nous profitons du grand air, des grandes plages de sable fin quasi désertes, du soleil quotidien et de la mer à une vingtaine de degrés. Nous faisons notre baptême de conduite en Inde : c’est notre première fois… en scooter ! Les routes sont peu fréquentées, le lieu est donc parfait pour apprendre et nous entraîner au 2 roues. Nous irons comme ça remonter les longues et belles plages kéralaises, où, loin des autres touristes occidentaux, il devient beaucoup plus aisé d’entrer en contact avec les gens du coin, particulièrement chaleureux et souriants. 
Le scooter nous offre aussi la liberté de sortir le soir (rentrer la nuit par le chemin côtier non éclairé fut certes une expérience, mais que je n’ai jamais souhaité réitérer, cela m’a juste inspiré de bons scénarios pour un thriller). Nous profitons alors du luxe de pouvoir manger des crudités dans les « resto à touristes » et de boire des mojitos à moins de 2€. Ça ne fait pas cher le cocktail, mais j’ai tout de même décelé que les serveurs censuraient l’alcool dans les verres des femmes (c’est comme ça que j’ai appris à réclamer en Inde lorsque je me sentais lésée).

….Et puis finalement, en fréquentant quotidiennement « la plage au chien », nous finissons même par nous attacher à l’animal particulièrement affectueux qui a finalement tout sauf l’air d’un canin enragé !



vendredi 24 janvier 2014

"On m'a volé mon sac !" : une semaine au commissariat.

Ce n’est qu’au bout de quelques jours que je prends enfin le temps de visiter Pondichéry, ayant passé une grande partie de mes journées avec les enfants dans l’association pendant les fêtes de Pongal.  La ville est bien différente de ce que j’ai pu voir jusqu’ici : calme, aérée et longée par une promenade de bord de mer qui lui donne des allures de station balnéaire, bien que la plage ait disparu depuis plusieurs années déjà. Ancien comptoir français, elle est encore divisée en 2 parties : « la ville blanche » et le reste. La ville blanche borde la mer et est séparée du reste de la ville par un canal. Ses rues sont faites de beaux pavillons individuels qui témoignent de la richesse des colons qui les ont habitées. On trouve encore aujourd’hui dans ce quartier les institutions qui perdurent : consulat, Alliance française, lycée français,… Les français sont toujours très nombreux. Outre les touristes, qui sont plus concentrés ici qu’ailleurs du fait de la renommée de la ville dans notre pays, de nombreux expatriés vivent à Pondichéry.



Les indiens du Sud sont très différents de ceux du Nord. Pondichéry se trouve dans l’état du Tamil Nadu, qui a sa propre sa propre langue, le tamoul, et sa propre industrie culturelle : films, chansons, danses, etc. Physiquement, les indiens du Sud ont la peau beaucoup plus foncée et sont généralement plus petits. Même si j’ai trouvé les indiens du Nord très accueillants, les tamouls le sont encore davantage et sont surtout très souriants.



Pour visiter la ville, j’opte pour le vélo. C’est mon grand baptême : première conduite en Inde. Je m’habitue vite à rouler à gauche, à prendre les rues en contre-sens pour tourner sans danger, à me rabattre lorsqu’un klaxon m’informe qu’un véhicule arrive sur ma droite et à slalomer entre les animaux qui encombrent la chaussée. A l’aise sur ma bicyclette, je pars donc pour une balade à travers les rues de bords de mer. La ville est tranquille et mon expérience de Jaipur où tout peut rester dans la rue sans être volé me met en confiance : je pars avec mon sac à main dans le panier avant de mon vélo. Mais alors que je sillonne les rues étroites d’un village de pêcheur dans le nord de la ville, un scooter ralentit à mon niveau : à peine ai-je tourné la tête pour regarder le scooter que je vois le jeune garçon à l’arrière du véhicule attraper mon sac et le conducteur accélérer à toute allure. Je tente de les suivre, mais rapidement ils me perdent sans même que je n’aie eu le temps de relever la plaque d’immatriculation. Au plus vite, je m’arrête demander de l’aide à des chauffeurs de tuk-tuk, qui me conduisent au commissariat.

Dans mon sac se trouvaient notamment : mon passeport, ma carte bancaire, mes téléphones français et indien, les clés de l’asso, mon baladeur mp3, et beaucoup d’autres affaires personnelles. Au commissariat, un bureau en métal dans le style des années 40 sur lequel reposent des papiers et un bloc note, un banc en bois et quelques fauteuils en plastique meublent la pièce. Pas la moindre trace d’un ordinateur ni même d’un téléphone qui aurait pu me servir pour appeler et demander de l’aide. Ils sont plusieurs policiers dans le commissariat, mais aucun ne parle anglais. Heureusement, le chauffeur me sert d’interprète. Après une heure à attendre je ne sais trop quoi au commissariat, je repars à l’association pour obtenir des conseils sur ce que je dois faire.

Dans l’après-midi, Praveena m’accompagne donc au commissariat pour pouvoir discuter avec les policiers. Après une heure d’attente environ, toujours à attendre je ne sais quoi puisqu’ils sont tous inoccupés, ils finissent par me dire que je dois faire une déclaration de perte. J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un vol et non d’une perte : on me répond que la procédure pour vol est trop compliquée, qu’il est donc plus sage de s’en tenir à une déclaration de perte. Après des discussions sans issue, Praveena décide d’appeler à l’aide un ami fonctionnaire, qui connaît bien les rouages des institutions d’Etat. Nous nous rendons chez Suresh qui, par chance, habite près du commissariat. Il nous y raccompagne.



Après une nouvelle heure passée dans les bureaux de la police sans que je ne sache toujours ce qu’il se passe, les policiers acceptent enfin que l’on procède à une déclaration de vol : mais il faut que la déclaration vienne de Praveena, et non de moi. On m’explique que la déclaration de vol en Inde débouche sur l’ouverture d’un dossier judiciaire et qu’il faut donc que le déclarant soit physiquement présent sur les lieux pour une durée indéterminée, afin de récupérer les objets volés dans le cas où ils seraient retrouvés. Ne résidant pas sur place, la police ne veut pas que je fasse une déclaration de vol. Ou peut-être qu’elle attend autre chose… comme quelques billets.

Grâce à l’aide de Suresh, nous parvenons donc à commencer la déclaration de vol au nom de Praveena. Le chef policier lui demande de falsifier l’histoire : elle devra raconter qu’elle me faisait visiter la ville à vélo et qu’au moment nous nous sommes arrêtées pour contempler un château d’eau, deux hommes à scooter sont passés et ont volé mon sac qui était dans mon panier… sans surveillance. Ayant bien compris que c’était ma seule solution d’obtenir une déclaration, je m’exécute. La rédaction de la déclaration prendra encore une heure : le chef policier dicte une lettre type en tamoul à Praveena, qui me la traduit en français, pour que je l’écrive en anglais… en son nom. Tout ça évidemment à la main, avec une copine carbone.

La déclaration enfin rédigée… ce n’est pas fini. Il me faut maintenant obtenir le tampon de la police. Un nouveau marathon commence : nous devons nous rendre dans un nouveau commissariat. Un policier, Suresh, Praveena et moi partons donc chacun sur nos véhicules jusqu’à l’autre poste de police. De nouveau, il faut attendre… jusqu’à ce qu’on me dise finalement qu’il faudra revenir. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Histoire remise au lendemain donc, après plus de 4 heures passées au commissariat.

Le lendemain, rebelotte. Pour une raison que j’ignore et après m’avoir fait attendre plus d’une heure, les policiers me demandent de revenir plus tard pour récupérer mon papier. J’y retourne donc le jour suivant. Je dois encore attendre. Comme partout en Inde, lorsque je demande combien de temps on me répond : 10 minutes. J’attendrai finalement une heure trente, et m’occupe en observant les policiers travailler : l’un tue les moustiques avec sa raquette électrique, l’autre lit le journal, le troisième les regarde. Il semblerait que ce que j’attends depuis la veille c’est le grand chef policier, que j’avais déjà croisé le premier jour et qui m’avait dit d’un ton sérieux qu’il ferait tout pour retrouver mes affaires car c’est une honte pour l’Inde que les étrangers se fassent voler dans leur pays.



J’aperçois enfin le chef policier, mais ce que je vois surtout c’est mon passeport qu’il tient dans ses mains ! Je suis soulagée, le quart d’heure d’attente supplémentaire me paraît donc déjà bien plus rapide. Enfin, le commissaire me reçoit. Il m’explique qu’ils ont passé un article dans le journal de la veille pour appel à témoins et qu’ils ont ainsi retrouvé le matin même mon passeport sur les marches du commissariat. Je demande à récupérer mon document : en le tenant de tous ses doigts, il me répond qu’ils doivent d’abord relever les empreintes digitales pour pouvoir enquêter. La situation est complètement absurde, mais lasse de me battre et d’attendre, je demande simplement quand je pourrai récupérer mon passeport. Je leur explique que j’en ai besoin dans les 3 jours car je dois ensuite quitter Pondichéry.

Je rentre à l’association, discute avec Praveena qui me raconte que d’après Suresh la police et les voleurs co-organisent des vols pour récupérer de l’argent : les voleurs gardent les affaires et la police attend un billet pour me redonner mon passeport. Mais Suresh refuse de cautionner la corruption et m’assure que nous obtiendrons ce que nous voulons sans payer. Le lendemain, je retourne de nouveau au commissariat demander mon passeport. Après encore plusieurs dizaines de minutes à attendre, on me répond que je ne peux pas le récupérer, mais cette fois le motif a changé : puisqu’une procédure judiciaire est lancée dans le cadre de ma plainte pour vol, tout document retrouvé fait l’objet d’une preuve qui vient instruire le dossier, on ne peut donc pas me redonner la pièce. Pour récupérer mon passeport, il me faut adresser une demande au Consulat, qui s’en remettra à un avocat, qui lui-même se rendra à la Cour faire la demande du document pour me le remettre. Je suis désespérée et je regrette mille fois de ne pas avoir simplement arraché mon passeport des mains au policier la veille ! Après encore plus d’une heure passée avec les policiers, je retourne demander de l’aide à Praveena.

Nous repartons toutes les deux voir la police. N’arrivant pas non plus à obtenir mon passeport, elle appelle à l’aide une amie avocate. L’avocate parle longuement au téléphone avec les policiers, puis explique à Praveena qu’elle a trouvé une solution : écrire une nouvelle déclaration certifiant qu’il y a eu une erreur dans la première déclaration, que le passeport ne se trouvait en fait pas dans mon sac et qu’il n’a donc jamais été volé. Elle nous envoie alors par e-mail un modèle de lettre que nous pouvons consulter grâce à la connexion 3G du smartphone de Praveena et que je devrai recopier… à la main, sur copie carbone. Quelques heures d’attentes plus tard, pour faire signer cette nouvelle déclaration, je repartirai enfin avec mon passeport… et sans payer !

En allant rendre mon vélo le lendemain, le vendeur consulte mon dossier et voit le nom « Praveena » inscrit pour garant. Il s’exclame alors : « C’est vous qui vous êtes fait voler votre sac ?! ».
« - Oui? c’est bien ça. Vous connaissez Praveena ?
-        - Non, mais j’ai lu dans le journal qu’une jeune française se baladait à vélo avec une certaine « Praveena » lorsqu’on lui a volé son sac. »

Effectivement, l’article mentionnait son nom, son âge, et même son adresse. C’est à peine s’ils n’auraient pas ajouté avec l’adresse de l’association, pour que le voleur sache aussi où utiliser mes clés….


dimanche 19 janvier 2014

Welcome to Pondichéry Partages

D’Ahmenabad, je récupère l’avion pour Chennai, afin de me rendre à Pondichéry. Arrivée bien en avance à l’aéroport, j’attends tranquillement mon vol dans la salle d’embarcation où tous les panneaux sont en hindi. Je ne m’inquiète pas car des hommes viennent régulièrement m’informer des vols qui partent, mais l’heure passe et j’entends tout à coup mon nom, prononcé dans un anglais indien : mon embarcation se faisait au 1er étage… Evidemment il ne manquait plus que moi ! A peine je m’installe que l’avion démarre : nous partons avec 10 minutes d’avance ! Je n’ai encore jamais vu ça et je m’attendais encore moins à voir cela en Inde, dans ce pays où la notion du temps est très approximative et où être en retard ne signifie pas vraiment être en retard.

En quittant l’avion, je fais la connaissance d’un français qui se rend lui aussi à Pondichéry. Nous partageons donc un rickshaw qui nous emmène sans tarder au premier arrêt de bus, où il nous jette littéralement nous et nos bagages dans le véhicule qui démarre à peine nous avons mis les deux pieds sur la première marche. Le bus est rempli, mais on nous trouve quand-même une petite place au fond du bus. Rien à voir avec ma première expérience sur le trajet Delhi-Jaipur. Cette fois, le bus est tout à fait à l’image de la représentation que je m’en faisais : rempli, ou les gens sont assis à 3 sur des places pour 2 alors que d’autres sont debout dans le couloir, toutes les fenêtres sont ouvertes, et les portes ne ferment pas. Le bus longe la mer du Nord au Sud, la température a grimpé de 10° : je me sens en vacances !





Un touchant message de bienvenue
A Pondichéry, un autre rickshaw me conduit jusqu’à l’association. Je suis chaleureusement accueillie par Bernadette, la présidente, et Praveena, l’unique salariée, indienne originaire de Pondichéry. Je suis accueillie par un joli dessin en sable coloré qui affiche « Welcome », réalisé par Praveena pour mon arrivée. Praveena et Bernadette me font découvrir les locaux de l’association : une grande salle, qui sert aux réunions et autres moments de vie de l’association, le bureau de Praveena, ma chambre, une salle de bains et une cuisine. Je prends rapidement possession des lieux. Bernadette loue l’appartement du dessus, où elle vient habiter 5 mois chaque année afin de pouvoir faire marcher comme il le faut l’association. Elle possède le plus bel appartement que je n’ai jamais vu en Inde : très propre et décoré avec beaucoup de goût. Le soir même, je monte dîner chez elle, ce qui nous permet de faire plus ample connaissance.

Ma chambre


Je suis tout de suite fascinée par son personnage. A 70 ans, Bernadette en paraît 10 de moins physiquement et paraît plus jeune encore par son état d’esprit. Très moderne dans sa pensée comme dans son mode de vie (elle gère avec brillo les nouvelles technologies !), je la questionne sur l’histoire de l’association et de son engagement associatif. Elle me raconte alors son parcours, le temps passé à aider bénévolement des gens dans le besoin dans divers pays et sur plusieurs continents, en parallèle de sa profession chronophage de styliste. Cette femme de conviction a toujours investi son énergie et son argent en faveur de l’amélioration des conditions des hommes et des femmes dans le besoin, et particulièrement des femmes. Elle attache une attention toute particulière à l’émancipation de la femme et à la reconnaissance de ses droits et de sa dignité.

C’est cette motivation particulière qui est à l’origine de la création de Pondichéry Partages. L’association a été créée pour permettre à des familles sans père de pouvoir subvenir aux frais de scolarité des enfants. Par un soutien psychologique et financier, l’association aide ces femmes seules à acquérir l’autonomie nécessaire pour pouvoir s’en sortir et gagner en dignité, tant dans leurs conditions de vie que concernant leur place dans la société. Actuellement en Inde, il n’est généralement pas accepté qu’une femme veuve ou divorcée se remarie et refasse sa vie. Les cas de meurtres déguisés d’une femme par sa deuxième belle-famille si celle-ci désapprouve le remariage sont plus fréquents qu’on ne pourrait l’imaginer.

Au sein de Pondichéry Partages, les familles indiennes sont parrainées par des familles françaises. Le parrainage peut être individuel : la famille en France verse chaque mois une somme d’argent qui sert directement à subvenir aux frais de scolarité des enfants indiens ; ou collectif : dons qui aident au fonctionnement global de l’association (surplus des coûts de scolarité, salaire de l’employée administrative, activités organisées pour les enfants, loyer des locaux,…). L’association a démarré avec quelques familles jusqu’à grossir aujourd’hui à 43 familles.



Bernadette est régulièrement sollicitée par de nouvelles familles mais étudie scrupuleusement leur dossier avant de les faire rentrer dans l’association et de leur chercher des parrains en France, car elle tient à s’assurer que la mère est volontaire et que le parrainage « fonctionnera » : l’idée n’est pas d’assister la famille, mais bel et bien de lui donner les moyens pour lui permettre de s’en sortir elle-même. Grâce à l’association, la grande majorité réussit bien à l’école et tous veulent poursuivre leurs études pour accéder à des métiers comme ingénieur ou médecin. Les familles ont pour beaucoup été relogées, elles ont quitté leurs cabanes précaires pour des habitats décents. Certaines femmes ont réussi à se détacher de la pression psychologique de leur mari alcoolique, ou à retrouver un travail pour subvenir aux besoins du foyer.



Le lendemain de mon arrivée, un parrain de l’association, Christian, et une amie à lui, Jocelyne, sont venus pour 10 jours chez Bernadette. J’ai donc passé une grande partie de mon séjour à Pondichéry en leur compagnie. Nous sommes arrivés au début des fêtes de « Pongal », l’équivalent de notre nouvelle année, qui fête à la fois les moissons et l’arrivée de l’été. Les enfants, en vacances, venaient donc quotidiennement dans les locaux de l’association pour se retrouver entre eux, pour danser et pour que je leur donne des cours de français. Ils sont tous très attachants, très vifs et motivés, ce qui est extrêmement touchant lorsque l’on connaît leur situation familiale et leurs conditions de vie. Le plus âgé de tous les enfants, Vicky, a fini le lycée et commencé à apprendre le français cette année, par les cours du soir de l’Alliance Française. Il n’a débuté que depuis 4 mois mais comprend déjà beaucoup de choses et tient à essayer de parler ma langue autant que possible.



Avec Christian, Jocelyne et Bernadette, nous sommes allés faire la traditionnelle visite à la famille, qui a lieu chaque fois qu’un parrain se rend sur place. Après avoir emmené les petites filleules de Christian et leur grand-mère se promener au bord de la mer et manger une glace, ce qu’elles n’ont jamais l’occasion de faire, nous sommes allés au supermarché leur acheter un équipement basique mais qu’elles n’avaient pourtant pas… des chaussures ! Les petites ont découvert pour la première fois de leur vie les escalators. D’abord effrayées, elles ont finalement pris goût au système et ne voulaient plus s’arrêter de monter et descendre. Les petites bien chaussées avec des escarpins à paillettes, nous les avons raccompagnées pour visiter de leur maison et …quelle surprise ! Ces enfants bien tenues, toutes jolies, grandissent entre 4 planches de bois sous un toit de paille rafistolé aux sacs plastiques et dorment sur des tapis posés à même la terre la nuit tombée. Priorité pour cette famille récemment accueillie dans l’association : un nouveau logement !

Christian et ses filleules





Ce dimanche, toutes les familles étaient conviées à l’association pour fêter tous ensemble Pongal, la venue des parrains et la mienne. Une vingtaine de familles étaient présentes au rendez-vous. Après avoir donné un cours de français aux plus grands le matin, je leur ai appris à faire des crêpes. Nous avons fait la pâte ensemble puis je leur ai expliqué la technique de fabrication : au bout de 10 minutes à peine j’étais priée de quitter la cuisine. Les enfants ont géré tous seuls la confection d’une centaine de crêpes ! Après la traditionnelle réunion d’information et de coordination avec les mères de familles, les enfants se sont livrés à un spectacle de danse pour nous. Pendant une heure, ils ont enchaîné tour à tour les chorégraphies, les plus petits dansent sur des musiques traditionnelles tandis que les grands préfèrent les chansons tamoules des films de Bollywood.





Cette journée festive a été particulièrement émouvante : j’ai été touchée par les sourires des femmes, la joie de vivre des enfants, la solidarité et l’organisation entre ces familles dont on ne pourrait jamais deviner l’histoire si difficile. Leur immense reconnaissance envers Bernadette sans qui leur vie serait aujourd’hui très différente, et envers Praveena, qui gère au quotidien le fonctionnement de l’association, témoigne de la réussite de cette association. Admirative du travail effectué et de l’investissement de Bernadette, je me sens vraiment heureuse d’avoir été accueillie ici et je participerai à mon tour à la vie de l’association. Dans un premier temps, c’est mon âme d’animatrice numérique qui reprend le dessus : au programme, création de comptes Google pour tous les membres du bureau et mise en place d’un espace partagé sur Google Drive pour leur faciliter la gestion des dossiers à distance.