Ce n’est qu’au bout de quelques
jours que je prends enfin le temps de visiter Pondichéry, ayant passé une grande partie de mes journées avec les enfants dans l’association pendant les
fêtes de Pongal. La ville est bien
différente de ce que j’ai pu voir jusqu’ici : calme, aérée et longée par
une promenade de bord de mer qui lui donne des allures de station balnéaire,
bien que la plage ait disparu depuis plusieurs années déjà. Ancien comptoir
français, elle est encore divisée en 2 parties : « la ville
blanche » et le reste. La ville blanche borde la mer et est séparée du
reste de la ville par un canal. Ses rues sont faites de beaux pavillons
individuels qui témoignent de la richesse des colons qui les ont habitées. On
trouve encore aujourd’hui dans ce quartier les institutions qui perdurent :
consulat, Alliance française, lycée français,… Les français sont toujours très
nombreux. Outre les touristes, qui sont plus concentrés ici qu’ailleurs du fait
de la renommée de la ville dans notre pays, de nombreux expatriés vivent à
Pondichéry.
Les indiens du Sud sont très
différents de ceux du Nord. Pondichéry se trouve dans l’état du Tamil Nadu, qui
a sa propre sa propre langue, le tamoul, et sa propre industrie
culturelle : films, chansons, danses, etc. Physiquement, les indiens du
Sud ont la peau beaucoup plus foncée et sont généralement plus petits. Même si
j’ai trouvé les indiens du Nord très accueillants, les tamouls le sont encore
davantage et sont surtout très souriants.
Pour visiter la ville, j’opte
pour le vélo. C’est mon grand baptême : première conduite en Inde. Je
m’habitue vite à rouler à gauche, à prendre les rues en contre-sens pour tourner
sans danger, à me rabattre lorsqu’un klaxon m’informe qu’un véhicule arrive sur
ma droite et à slalomer entre les animaux qui encombrent la chaussée. A l’aise
sur ma bicyclette, je pars donc pour une balade à travers les rues de bords de
mer. La ville est tranquille et mon expérience de Jaipur où tout peut rester
dans la rue sans être volé me met en confiance : je pars avec mon sac à
main dans le panier avant de mon vélo. Mais alors que je sillonne les rues
étroites d’un village de pêcheur dans le nord de la ville, un scooter ralentit
à mon niveau : à peine ai-je tourné la tête pour regarder le scooter que
je vois le jeune garçon à l’arrière du véhicule attraper mon sac et le
conducteur accélérer à toute allure. Je tente de les suivre, mais rapidement
ils me perdent sans même que je n’aie eu le temps de relever la plaque
d’immatriculation. Au plus vite, je m’arrête demander de l’aide à des chauffeurs
de tuk-tuk, qui me conduisent au commissariat.
Dans mon sac se trouvaient
notamment : mon passeport, ma carte bancaire, mes téléphones français et
indien, les clés de l’asso, mon baladeur mp3, et beaucoup d’autres affaires
personnelles. Au commissariat, un bureau en métal dans le style des années 40
sur lequel reposent des papiers et un bloc note, un banc en bois et quelques
fauteuils en plastique meublent la pièce. Pas la moindre trace d’un ordinateur
ni même d’un téléphone qui aurait pu me servir pour appeler et demander de
l’aide. Ils sont plusieurs policiers dans le commissariat, mais aucun ne parle
anglais. Heureusement, le chauffeur me sert d’interprète. Après une heure à attendre
je ne sais trop quoi au commissariat, je repars à l’association pour obtenir
des conseils sur ce que je dois faire.
Dans l’après-midi, Praveena
m’accompagne donc au commissariat pour pouvoir discuter avec les policiers.
Après une heure d’attente environ, toujours à attendre je ne sais quoi
puisqu’ils sont tous inoccupés, ils finissent par me dire que je dois faire une
déclaration de perte. J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un vol et non d’une
perte : on me répond que la procédure pour vol est trop compliquée, qu’il
est donc plus sage de s’en tenir à une déclaration de perte. Après des
discussions sans issue, Praveena décide d’appeler à l’aide un ami
fonctionnaire, qui connaît bien les rouages des institutions d’Etat. Nous nous
rendons chez Suresh qui, par chance, habite près du commissariat. Il nous y
raccompagne.
Après une nouvelle heure passée
dans les bureaux de la police sans que je ne sache toujours ce qu’il se passe,
les policiers acceptent enfin que l’on procède à une déclaration de vol :
mais il faut que la déclaration vienne de Praveena, et non de moi. On
m’explique que la déclaration de vol en Inde débouche sur l’ouverture d’un
dossier judiciaire et qu’il faut donc que le déclarant soit physiquement
présent sur les lieux pour une durée indéterminée, afin de récupérer les objets
volés dans le cas où ils seraient retrouvés. Ne résidant pas sur place, la
police ne veut pas que je fasse une déclaration de vol. Ou peut-être qu’elle
attend autre chose… comme quelques billets.
Grâce à l’aide de Suresh, nous
parvenons donc à commencer la déclaration de vol au nom de Praveena. Le chef
policier lui demande de falsifier l’histoire : elle devra raconter qu’elle
me faisait visiter la ville à vélo et qu’au moment nous nous sommes arrêtées
pour contempler un château d’eau, deux hommes à scooter sont passés et ont volé
mon sac qui était dans mon panier… sans surveillance. Ayant bien compris que
c’était ma seule solution d’obtenir une déclaration, je m’exécute. La rédaction
de la déclaration prendra encore une heure : le chef policier dicte une
lettre type en tamoul à Praveena, qui me la traduit en français, pour que je
l’écrive en anglais… en son nom. Tout ça évidemment à la main, avec une copine
carbone.
La déclaration enfin rédigée… ce
n’est pas fini. Il me faut maintenant obtenir le tampon de la police. Un
nouveau marathon commence : nous devons nous rendre dans un nouveau
commissariat. Un policier, Suresh, Praveena et moi partons donc chacun sur nos
véhicules jusqu’à l’autre poste de police. De nouveau, il faut attendre… jusqu’à
ce qu’on me dise finalement qu’il faudra revenir. Pourquoi ? Je n’en sais
rien. Histoire remise au lendemain donc, après plus de 4 heures passées au
commissariat.
Le lendemain, rebelotte. Pour une
raison que j’ignore et après m’avoir fait attendre plus d’une heure, les
policiers me demandent de revenir plus tard pour récupérer mon papier. J’y
retourne donc le jour suivant. Je dois encore attendre. Comme partout en Inde,
lorsque je demande combien de temps on me répond : 10 minutes. J’attendrai
finalement une heure trente, et m’occupe en observant les policiers
travailler : l’un tue les moustiques avec sa raquette électrique, l’autre
lit le journal, le troisième les regarde. Il semblerait que ce que j’attends
depuis la veille c’est le grand chef policier, que j’avais déjà croisé le
premier jour et qui m’avait dit d’un ton sérieux qu’il ferait tout pour
retrouver mes affaires car c’est une honte pour l’Inde que les étrangers se
fassent voler dans leur pays.
J’aperçois enfin le chef policier,
mais ce que je vois surtout c’est mon passeport qu’il tient dans ses
mains ! Je suis soulagée, le quart d’heure d’attente supplémentaire me
paraît donc déjà bien plus rapide. Enfin, le commissaire me reçoit. Il
m’explique qu’ils ont passé un article dans le journal de la veille pour appel
à témoins et qu’ils ont ainsi retrouvé le matin même mon passeport sur les
marches du commissariat. Je demande à récupérer mon document : en le
tenant de tous ses doigts, il me répond qu’ils doivent d’abord relever les
empreintes digitales pour pouvoir enquêter. La situation est complètement
absurde, mais lasse de me battre et d’attendre, je demande simplement quand je
pourrai récupérer mon passeport. Je leur explique que j’en ai besoin dans les 3
jours car je dois ensuite quitter Pondichéry.
Je rentre à l’association,
discute avec Praveena qui me raconte que d’après Suresh la police et les voleurs
co-organisent des vols pour récupérer de l’argent : les voleurs gardent
les affaires et la police attend un billet pour me redonner mon passeport. Mais
Suresh refuse de cautionner la corruption et m’assure que nous obtiendrons ce
que nous voulons sans payer. Le lendemain, je retourne de nouveau au
commissariat demander mon passeport. Après encore plusieurs dizaines de minutes
à attendre, on me répond que je ne peux pas le récupérer, mais cette fois le
motif a changé : puisqu’une procédure judiciaire est lancée dans le cadre
de ma plainte pour vol, tout document retrouvé fait l’objet d’une preuve qui vient
instruire le dossier, on ne peut donc pas me redonner la pièce. Pour récupérer
mon passeport, il me faut adresser une demande au Consulat, qui s’en remettra à
un avocat, qui lui-même se rendra à la Cour faire la demande du document pour
me le remettre. Je suis désespérée et je regrette mille fois de ne pas avoir
simplement arraché mon passeport des mains au policier la veille ! Après
encore plus d’une heure passée avec les policiers, je retourne demander de
l’aide à Praveena.
Nous repartons toutes les deux
voir la police. N’arrivant pas non plus à obtenir mon passeport, elle appelle à
l’aide une amie avocate. L’avocate parle longuement au téléphone avec les
policiers, puis explique à Praveena qu’elle a trouvé une solution : écrire
une nouvelle déclaration certifiant qu’il y a eu une erreur dans la première
déclaration, que le passeport ne se trouvait en fait pas dans mon sac et qu’il
n’a donc jamais été volé. Elle nous envoie alors par e-mail un modèle de lettre
que nous pouvons consulter grâce à la connexion 3G du smartphone de Praveena et
que je devrai recopier… à la main, sur copie carbone. Quelques heures
d’attentes plus tard, pour faire signer cette nouvelle déclaration, je
repartirai enfin avec mon passeport… et sans payer !
En allant rendre mon vélo le
lendemain, le vendeur consulte mon dossier et voit le nom « Praveena »
inscrit pour garant. Il s’exclame alors : « C’est vous qui vous êtes
fait voler votre sac ?! ».
« - Oui? c’est bien
ça. Vous connaissez Praveena ?
- - Non, mais j’ai lu dans le journal qu’une jeune
française se baladait à vélo avec une certaine « Praveena » lorsqu’on
lui a volé son sac. »
Effectivement, l’article mentionnait son nom, son âge, et même son adresse. C’est à peine s’ils n’auraient pas ajouté avec l’adresse de l’association, pour que le voleur sache aussi où utiliser mes clés….
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